Mardi 9 mai 2023 - 4h10 du matin
Le réveil est matinal. Le bus doit partir à 5h du matin pour arriver à Sagada vers 8h. 3 heures de route de montagne pour une distance de 30 kilomètres à vol d’oiseau. Je suis de plus en plus malade. Je ne sais plus s’il faut revenir à Manille ou continuer. À 4h30 nous arrivons à l’arrêt de bus. Avec nous il n’y a que des backpackers de moins de trente ans : 3 anglais, 2 suisses, 1 australienne. Vers 5h, un homme de Frantz marche d’un pas rapide : nous n’avions pas pu payer le trek la veille et nous étions raté avec Frantz. C’est maintenant réglé.
Sagada c’est un peu le terminus des montagnes, la dernière grande destination du nord de Luçon. Au-delà il y a encore des villages, mais plus de bus, seulement l’aventure. Alors qu’on attend le bus, un petit van qui fait de la concurrence arrive un peu avant 5 heures et embarque tout le monde pour 500 pesos chacun (environ 8 euros). La nuit laisse place à un dense brouillard avec des ravins et des rizières, pendant 2 heures on monte et on descend parfois, ce n’est pas complètement à pic, on passe de 1600 mètres à 1900. Au bout d’un moment, on s’élève au dessus des nuages alors que le soleil perce. C’est magique. Là haut le paysage tropical change et une vaste forêt de conifères apparaît. Vers 7h30 on atteint Sagada, la ville au dessus des nuages.
Le Bana’s coffee de Sagada est considéré comme un des meilleurs cafés de la planète. Si à l’origine le café vient d’Ethiopie, il est cultivé aux Philippines depuis 1730 et a connu un boom depuis le début du 20ème siècle, en se hissant 4ème producteur mondial. C’est le pays du Robusta puisque 71% de son café l’est ; la région de la cordillère où nous sommes est la plus productrice du pays. Altitude, climat tropical et sol riche offrent une combinaison idéale pour produire de bons grains. Avec sa haute teneur en caféine, le Robusta de Banaue (ou nous étions avant) offre une saveur plus prononcée que l’arabica, avec un arrière goût brulé ou boisé. L’arabica de Sagada est quant à lui un Single Origin doux aux saveurs de chocolat et de noisette.
À l’arrivée nous filons vers Amlangan lodge situé à un bon kilomètre de la gare routière. Il est à peine 7 heures du matin mais le soleil est déjà haut. Amlangan est à bien 200 mètres de la route, face à Écho Valley, la forêt de Sagada. Par contraste avec Banaue, c’est très calme et nous sommes accueillis par des chiots et des chatons. Mignons mais pas d’être humain. Au bout d’une dizaine de minutes un jeune adolescent apparaît, suivi de sa sœur timide et de ce qui nous semble son grand frère. L’hôtel semble grand mais nous semblons aussi les seuls occupants avec les chiots. Par chance, la chambre est déjà prête, on prend un bain de soleil avant d’aller arpenter la ville. Je tousse, j’ai la tête qui tourne, j’ai du mal à respirer, je n’ai plus faim, plus soif et le sommeil m’attire. L’électricité est coupée dans tout dans le village, on se demande si ça va revenir « peut être aujourd’hui ». On s’en inquiète un peu mais ça a l’air habituel pour tout le monde.
On cherche un café pour se restaurer mais partout les commerces sont plongés dans le noir. On a envie de découvrir Écho Valley sans recourir aux services d’un guide de randonnée, d’après la carte c’est à côté. Mais l’office du tourisme nous fait comprendre que ce n’est pas une option, « question de sécurité ». On demande donc quels sont les problèmes de sécurité « c’est mieux d’avoir les explications d’un guide ». Pas faux, mais ayant un peu envie de sortir des groupes on suit l’application All Trails. Sur le chemin le café de Sagada est revitalisant.
La fièvre commence à m’atteindre mais on marche tout de même sur le sentier. Il y a un air d’interdit dans la ballade car tout le monde, c’est-à-dire essentiellement des touristes philippins, est escorté dun guide sauf nous. Entre plantations de café, montagne et forêt on atteint enfin ce qui fait la drôle de réputation de Sagada : la mort suspendue. En effet, depuis plus de 2000 ans, le rite funéraire de Sagada, qui se perpétue encore de nos jours est très singulier. Avant son décès, chaque homme et femme conçoit son cercueil ; il est toujours de petite (un mètre environ) par soucis d’économie et par tradition. À sa mort, le défunt est ensuite embaumé dans un tissu aux couleurs de la famille et enfumé avec des herbes afin qu’aucune odeur nauséabonde n’émane du corps. Ainsi, en partie momifié, il est placé sur une chaise devant son domicile pour que le village lui rende un dernier hommage, honorer l’âme et préparer le deuil. Pendant cette période de recueillement les proches sacrifient poulets et cochons en guise de célébration. Après plusieurs jours, le corps est placé en position fœtale (comme il est venu au monde) dans le cercueil construit par le défunt. Il est emmené à Écho Valley, là où nous sommes maintenant, et des jeunes de la ville surnommés « les grimpeurs de rochers » vont hisser à l’aide de cordes et de poulies le sarcophage sur le flanc d’une falaise calcaire. Des pieux sont plantés et on suspend le cercueil au dessus du vide. Presque unique au monde, cette pratique originale se retrouve aussi en Chine et Indonésie ; le sens spirituel et pratique de la démarche reste sujette à interprétation : se rapprocher du ciel, éviter que le corps ne soit récupéré par des tribus ennemies ou dévoré par des animaux…
On trouve aussi en chemin une grotte remplie de vieux cercueils de pierre. Lorsque le temps manquait, c’était l’alternative funéraire pratiquée à Sagada. La balade est paisible et, même si on semble la faire à contre courant des guides officiels, se termine pour nous par la visite du cimetière chrétien qui est bien plus utilisé de nos jours (le dernier défunt enterré de manière traditionnelle remonterait à 2017 d’après nos sources locales).
Drôle de climat pour être malade. L’après midi, le propriétaire de notre lodge m’indique un sarcophage caché dans la falaise qui fait face à notre chambre. La fièvre monte, je me sens étouffer, je dors et quand je me réveille je commence à halluciner : Diane me parle à gauche, Diane me parle au loin. Je réponds mais elle dort… La momie en face m’appelle aussi « Maxime vient avec moi ». J’ai du mal à respirer. La mort m’appelle et non ça ne va pas. Vers 22h je cherche à appeler les urgences philippines. Le numéro ne répond pas. Ma voix s’éteint et difficilement je demande de l’aide à Diane. Réponse « c’est compliqué là on n’est pas chez nous, il faut attendre ». Diane finit par trouver le propriétaire qui sort son gros van et m’amène au petit hôpital du coin. Vers 23h Sagada est complètement déserte et l’hôpital aussi. Dans un anglais toujours impeccable le docteur me teste de partout, me soulage les bronches avec une sorte de Ventoline bien dosée et me rassure : c’est une bronchite avec un virus, il faut dormir. On me donne un médicament qui m’emporte dans la nuit.
Mercredi 9 mai 2023
Au réveil il faut partir, aujourd’hui on a prévu de descendre dans la grotte de Liliane. Quelle idée ! Je demande à notre hôte si c’est faisable. « oui, facile ». On est déposés par un van et après 15 minutes de marche pour accéder à la grotte, sans casque, en tong, avec une seule vraie lumière portée par notre guide, on s’engouffre dans les profondeurs. « Vous reverrez la lumière au plus tard dans 3/4 heures mais peut être 2 si on va vite ». On descend à même la roche en faisant des acrobaties. Évidemment, des cercueils nous accueillent. Le guide nous explique que certains philippins aiment bien aller toucher les os mais c’est interdit… Une tête de mort semble nous regarder. Le guide me rassure : « avec la fièvre ça fait du bien la fraîcheur et il y a toujours un filet d’air qui passe ». Je ne vais pas bien mais je m’entête à descendre, après tout c’est « facile ». Au bout d’un petit moment de descente pas si facile il n’y a plus d’accès… Voie sans issue ? Non. Il me montre un passage vertical très étroit où on se contorsionne pour passer. Il me récupère pour que je ne tombe pas. Il m’indique où poser la main à la fin du passage : je manque de 5 centimètres la zone. Le décor tourne autour de moi et je vois qu’en bas il y a une salle cathédrale avec bien 8 mètres de vide. Évidement il faut descendre ; « facile » et le guide de me montrer le filet d’air. Ok. J’arrête. L’expérience est sympa mais là je suis à la limite. Même pas à contre coeur on remonte ; Diane repart, moi je cours vers le sommeil. En ce qui me semble une fraction de seconde, Diane réapparaît « franchement c’était pas facile, surtout après ». Les momies dansent avec moi et je commence à rêver du retour. Diane « Demain pour la randonnée de 4 heures du matin, on confirme ? ». Je me rendors et … confirme. Le guide a dit « facile facile » et puis de toute façon l’après midi on repartira à Manille. Je prends trois bouffées de Ventoline, du paracétamol et ne mange plus. Je dors.
Jeudi 10 mai 2023 - 4h11 du matin
Mon téléphone vibre sous l’oreiller, c’est un appel. « Hello Mister Maxime, are you ready ? » Ready ? Bien sûr. Notre réveil n’a pas sonné. J’enfile ce que je peux, garde mon T-shirt de pyjama, oublie la Ventoline, pas d’eau, pas de veste, je grelotte ; Diane est à peine mieux. Je m’endors dans le van. On nous dépose pas loin. Ici on est en montagne et il fait environ 18 degrés à 4h30 mais on surjoue un peu le froid. « Bonnet ? » propose une vendeuse. J’hésite. Diane me foudroie du regard comme pour me dire « t’es sérieux ? ». On avale un magnifique café local et on avance. Je ne suis pas au mieux, j’ai du mal mais j’y vais. Et franchement « facile facile » si j’étais mieux ça aurait même été trois fois facile. Au bout d’une bonne heure de marche dans la nuit, le jour s’apprête à apparaître, on est avec une dizaine de Philippins en attente de la grâce. Face à nous la mer de nuages. Je pose un timelapse et au moment même où je le lance, une boule de feu surgit à toute vitesse : le soleil perce. Je lance aussi le drone, c’est sublime. Mer de nuages sur montagne tropicale. J’immortalise les images.
Un sino-Américain de bien 2 mètres bodybuildé me concurrence un peu avec son drone et sa copine qu’il dirige à la caméra. Toutes les poses y passent. Diane me regarde un peu « j’ai pas le droit à tout ça moi ? ». C’est le grand jeu : il font des poses en sautant, elle déambule dans sa belle robe sur la terre bleue caractéristique du lieu. « The shooting was good ? ». Il est sympa mais moi je ne suis pas au mieux, j’expédie un peu la réponse et il nous font le show pendant qu’on continue la randonnée. J’oscille entre « c’est super » et « je ne vais pas bien ».
Pendant trois jours, Sagada aura été une pause enchantée mais un peu vaudoue pour moi. On aura oscillé entre petits restos mignons, sieste et aventures entourées de Philippins toujours gentils, mais rarement j’aurai eu l’impression d’être si loin de la vie. Il faut dire : 12 heures de bus de Manille, pas loin de 24 heures de route de Paris et tout ça un peu bloqué. Je suis surtout dans le brouillard. Il faut voir le bon côté, les voyages passent vite quand on dort. On part entre dans le bus de 12h30 à Sagada. À 3h30 du matin, avec deux bonnes heures de retard, on est à Manille. Je n’ai presque rien vu passer.
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