« Jesus the only one has the power to save ! » Act 4-12
Des arbres, des forêts de Sagada aux maisons dans les rizières, en passant par les toilettes des aires d’autoroute ou bien à proximité des zones résidentielles de luxe de Manille, partout aux Philippines fleurissent de petites affiches de 15cm sur 15cm en jaune vif qui répètent à l’infini cette citation biblique.
Source unique du salut, Jesus, et par extension le catholicisme, est la figure religieuse dominante aux Philippines : 80% des Philippins sont catholiques, 10% chrétiens non catholiques, 5% musulmans et moins de 1% bouddhistes. À ce titre, les Philippines se distinguent nettement des autres pays d’Asie dominés par le bouddhisme, l’islam ou des croyances traditionnelles.
17 mars 1521
Après plus d’un an et demi de voyage, Ferdinand de Magellan et son équipage manquent d’eau, manquent de nourriture ; on mange des rats, on boit de la soupe de bois trempée dans de l’eau de mer, le scorbut et le béribéri menacent la vie des derniers marins survivants. Seul le céleri sauvage recolté abondamment aux îles Mariannes sauve les homme. Et Jesus, peut être aussi. Après un ravitaillement in extremis sur Guam, les Philippines sont en vue. Dans l’archipel des Visayas, le célèbre navigateur atteint l’île de Mactan au terme d’une des plus incroyables traversées de l’histoire.
Ferdinand de Magellan débarque avec ses hommes et entreprend l’évangélisation de la population locale, mais le roi Lapu-Lapu décline le baptême et la christianisation de sa population. Face à Magellan et aux espagnols, il force un combat les pieds dans l’eau et perce l’armure de Magellan avec des flèches empoisonnées. Le navigateur ne connaîtra jamais la fin de son voyage ni sa gloire.
Mars 1571
Depuis l’épisode de la mort de Magellan, cela fait 50 ans que les Espagnols cherchent à prendre possession des Philippines et de plusieurs îles à l’est dont Guam et les Mariannes. Miguel López de Legazpi conquiert le nord des Philippines en 1571 et fonde une nouvelle ville qu’il nomme Manila, Manille. Elle deviendra la ville clé de l’empire espagnol en Asie, la capitale des « Indes orientales ». La fondation de la ville s’inscrit alors dans le gigantesque processus de création urbaine entreprise par l’Espagne dans le « nouveau monde ». Nouvelle place forte du commerce transpacifique entre le Mexique et la Chine, Manille devient le centre de l’église catholique en extrême orient, l’endroit d’où les évangélisateurs rêvent de convertir l’Asie.
Vendredi 28 avril 2023
En arrivant à Manille, face à notre hôtel : une église blanche en bois. Avec 85 millions de catholiques aux Philippines, les missionnaires espagnols sont parvenues à leurs fins d’évangélisation locale, mais le tremplin vers le reste de l’Asie n’a jamais abouti. On compte certes 15 millions de catholiques en Inde, 9 millions en Chine et 7 millions en Indonésie mais rien de comparable avec les Philippines. C’est l’unique pays d’Asie à dominante catholique. Le centre du diocèse de Manille compte plus de 400 églises.
Vendredi 12 mai 2023
Alors que je suis malade en cette fin de voyage, médecin et guide me disent qu’ils prieront pour moi et qu’il faut prier Jésus. 500 ans après la mort de Magellan pour avoir cherché à évangéliser les Philippines, le pays est devenu l’un de ceux où la foi chrétienne est la plus vive. L’hôpital de campagne où je suis allé à Sagada était d’ailleurs financé par l’église.
Vendredi 5 mai 2023 - 10h42
De retour de Palawan, nous retrouvons la bouillonnante Manille. C’est une ville difficile à décrire. Vue d’avion, les bidonvilles semblent s’étendre à perte de vue, seulement interrompus par des immeubles de grande taille et des routes aux allures vétustes. Rien d’alléchant.
En transit, entre un grand voyage avant et plus de 9 heures de bus ce soir, la virée à Manille doit détendre. Nous prenons un taxi Grab pour nous rendre au Mall of Asia pour déjeuner. Énorme cube doré et climatisé en bord de mer, le mall est plus sécurisé que Fort Knox. En sortant du Grab, 2 agents de sécurité inspectent notre véhicule pour vérifier qu’il n’est pas plastiqué et 3 autres agents lourdement armés nous suivent du regard ; l’un d’eux possède un masque Covid tête de mort et porte un fusil à pompe ostensiblement chromé avec d’énormes munitions en bandoulière. On entre dans le mall en étant plus inspectés qu’à l’aéroport. À l’intérieur on trouve Apple Store, magasin de mode américaine, dégustation de café, brasserie à la française, pizzeria et un hôtel avec vue sur mer dont les chambres coûtent l’équivalent d’un mois de salaire philippin pour la nuit. La pizza est banale, le café bon, la clim agréable, l’ambiance zen. On se demande surtout qui sont ces Philippins qui peuvent se commander des plats à des tarifs sensiblement proches de ceux de Paris. On reprend un Grab pour un massage détente au Sofitel. À l’arrivée, la vue des mitrailleuses et fusils à pompe ne nous fait plus peur et on s’étonne à peine d’être accueillis par des hôtesses mieux habillées que des princesses Disney.
En fin de journée on s’aventure jusqu’à « Star City » non loin de notre zone hôtelière 5 étoiles. C’est un parc d’attraction qui fait fureur auprès des ados, et pour quelques 10€ l’entrée on se paie un tour en grande roue et un manège, mais surtout on découvre la jeunesse de Manille. Il règne une ambiance de fin d’année, à part nous tout le monde a l’air d’avoir 15 ans. Les manèges sont rouillés, c’est un Disneyland des pauvres mais l’ambiance est complètement magique et tout le monde rit et crie gaiement. Des jus de coco sucrés font fureur dans toutes les mains des ados. On se prend en photo, on se drague, on se fait des blagues, on s’admire, on mange de bons petits plats. Au sommet de la grande roue qui grince, on découvre Manille, toujours aussi anarchique, les beaux immeubles semblent pousser au milieu de zones de friche, au loin les porte-conteneurs circulent. À force de flâner, on prend du retard, la nuit tombe, aucun Grab ne nous accepte et on paie une fortune (pour ici) un chauffeur privé qui nous accompagne à notre gare de bus décrépie située à Quezon City, dans le quartier étudiant de Manille.
Je commence à être malade et le trajet vers la gare routière est comme une hallucination. Pendant une heure trente, on est avalés dans un tunnel de voitures et de néons au cœur d’une ville polluée. Au dessus de nous le vieux métro n’est pas rassurant. Partout, le Christ veille sur ce drôle d’endroit.
Juillet 1821
En fait, les Philippines ne sont pas nées colonie de l’Espagne mais colonie de la Nouvelle Espagne. Autrement dit, une colonie de la colonie, puisque conquise par un Mexicain et administrée de 1571 à 1821, pendant 250 ans, par Mexico. En juillet 1821 avec la fin de la guerre hispano américaine, le Mexique perd son administration et Manille et les Philippines passent entre les mains de Madrid pour 77 ans, jusqu’à ce que les Américains placent les Philippines sous protectorat pendant plus de 40 ans.
Cette drôle d’histoire qui lie finalement Manille à Mexico et Washington plus qu’à Madrid explique que ce territoire est aussi le plus américain de l’Asie.
Vendredi 12 mai 2023 - 9h
Au Starbucks, un Philippin sirote son Caramel Macchiato en visio sur son Mac dans un anglais impeccable. Il développe une stratégie marketing pour un produit pharmaceutique. De l’autre côté de la rue, la plus grande ambassade américaine de la planète, aux allures de grande base militaire, bloque la vue sur la mer.
Au Pentagone, les administrations américaines et Philippines ont signé la construction de 4 nouvelles bases militaires : au moins 2 sont prévues autour de Manille et une troisième sur l’île de Palawan. L’enjeu n’est rien de moins que de se préparer à une guerre contre la Chine que certains responsables américains, comme le général Michael Minihan, prophétise pour l’horizon 2025.
Pour la troisième fois nous sommes de retour à Manille et la ville est toujours aussi vaste et incompréhensible comme un Bangkok sans son strass.
Pour notre dernier jour de voyage nous explorons ce matin le quartier d’Intramuros construit par la nouvelle Espagne sur le modèle des villes mexicaines. Est-ce le centre historique de Manille ? Peut être. C’est en tout cas fortifié, pavé et on se croirait téléporté en Amérique latine. On découvre le fort Santiago, l’église saint Augustin et le parc dédié au héros national José Rizal.
Ironiquement, à côté du quartier espagnol, le mémorial de Jose Rizal rappelle qu’en 1896 la révolution philippine, à laquelle il a participé à lancer avant de mourir, a achevé dans le sang la relation entre Madrid et Manille. En 1898, l’Espagne a perdu sa guerre contre les États-Unis et a vendu sa colonie à Washington.
Décembre 1969
L’entrepreneur japonais Kazuo Okada tombe amoureux de Las Vegas et se lance dans la construction de machines à sous peu après. Il fait fortune.
12 mai 2023 - 14h55
Il y a dix jours nous avions demandé à deux Manillais en vacances à Palawan quel était leur endroit préféré dans Manille. Réponse : « allez visiter l’hôtel Okada! ». Pas un musée, pas un monument historique, pas un parc ni un gratte-ciel, mais bien un hôtel casino 5 étoiles.
Un peu avant 15h, sous 36 degrés, on rejoint donc la zone hôtelière pas loin des mall de luxe. Après le passage de sécurité devant des armes spectaculaires, on entre. L’hôtel, sur le modèle de Las Vegas est un gigantesque lingot d’or, l’intérieur semble sorti d’un dessin animé ou d’un jeu vidéo japonais. C’est un véritable chef d’œuvre de kitch qui surprend mais fini par émerveiller par sa grandeur, sa cohérence, sa folie. Dans un énorme dôme climatisé, on cherche notre guide (car il y a des visites guidées de l’hôtel). Des musiques apaisantes accompagnes nos pas qui s’enfoncent sur de lourds tapis. Le guide est sympathique, on a de l’eau, une boisson fraîche et on déambule dans tout l’hôtel avec visite de la suite présidentielle. Des Manillais et des touristes nous accompagnent dans ce drôle de tour, sous le regard accablé des riches résidents qui s’étonnent des photos du petit groupe. Le soir, on nous a réservé des place VIP pour deux heures de spectacle privé avec jets d’eau colorée, acrobaties et boisson à volonté au bord du gigantesque lac piscine de l’hôtel. Toujours malade j’ai du mal à rester éveillé mais comme j’ai l’air d’être dans un rêve éveillé je tiens jusqu’au moment où je vais mal.
13 mai 2023 - 7h12
Le soleil perce déjà. On loge face à l’ambassade américaine et la vue de notre chambre donne sur un Seven Eleven. Derrière notre fenêtre fumée, on s’attriste du sort d’une famille qui mendie. Trois enfants dorment dans la rue dans l’indifférence générale.
Malade, je n’ai pas la force de visiter le musée des Beaux Arts du pays, sans doute intéressant mais le temps manque rapidement. On a réussi à prendre un vol qui part à 14h au lieu de 23h, notre dernière promenade rapide est à l’image de notre découverte de Manille : incomplète. On avait idée de ramener des petits souvenirs mais on se retrouve entre des banques trop sécurisées, des petits commerces de quartier qui ne sont pas pour nous et de grandes rues sans fin où semble se déverser la misère des Philippines.
Terminer un voyage et dire au revoir n’est jamais une chose aisée, surtout quand on est malade, surtout quand il reste tant à découvrir. On a ouvert la porte d’un autre monde et les Philippines nous ont tour à tour émerveillé, questionné, étonné. On aura y trouvé beaucoup de bonté et de beauté et vécu un voyage fort et marquant. C’est sans doute le plus beau compliment qu’on puisse faire. Au moment de refermer la porte, on a juste envie de suspendre le temps, de découvrir encore et finalement on ne dira pas au revoir, on ne terminera pas en feu d’artifice final. Dans notre cœur on dira juste : à bientôt.
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