top of page

Fogo - L’île volcan du Cap Vert

Photo du rédacteur: Maxime PannetierMaxime Pannetier

Il y a 17 000 ans.

La terre vit sa dernière ère glaciaire, l’Europe et l’Amérique du Nord sont en partie sous la glace. Les chasseurs cueilleurs cohabitent avec les mammouths laineux qu'ils représentent sur des peintures rupestres, comme dans la grotte de Lascaux. Au large de l'Afrique, côté Atlantique, un volcan de 3850 mètres de haut entre dans une cataclysmique éruption. Dans un rugissement de feu et de fureur, des rivières de lave se déversent et provoquent un gigantesque séisme. Le sommet de la montagne de feu s'écroule sur lui même, créant des vagues de plus de 220 mètres de haut. Un tsunami se forme, charriant avec lui des milliers de roches volcaniques jusqu'aux îles alentours.

Quand l'éruption titanesque s'apaise, elle laisse derrière elle un trou béant : la montagne s'est affaissée de mille mètres et, s'effondrant sur elle même, a formé un gigantesque trou avec un nouveau cratère en son centre : la caldeira de Fogo est née. Des milliers d'années plus tard en 1456, des navigateurs Portugais decouvrent les 10 îles inhabitées du Cap Vert. L'île volcan leur inspire un mot : Fogo ; feu en portugais.



Vivre dans le village de la Caldeira


Vendredi 8 mars 2024



Après quelques 14 heures de voyage, notre taxi monte jusqu’à 1000 mètres d’altitude, y dépasse une frontière de nuages puis se hisse encore jusqu'à plus de 1700 mètres.



Une barrière de montagnes verticales de 1000 mètres nous surplombe en arc de cercle et un cône volcanique impose sa majesté : nous entrons dans la Caldeira de Fogo.



Alors que le soleil décline, notre voiture roule sur une route pavée au son de la musique d’Imagine Dragons. Notre chauffeur, vêtu d'un maillot de l'OM (bien qu'il prenne le soin de nous dire qu'il préfère Monaco) nous indique sur la droite des toits de maisons ensevelies par la lave lors de la dernière grande éruption de 2014. Les deux villages de la Caldeira avaient alors été complètement rayés de la carte. Dix ans plus tard, sur les 1500 habitants d'alors, 900 sont revenus et ont rebâti de zéro leur village. On n'efface pas si facilement trois cent ans d’implantation humaine.


Reste de maisons ensevelies en 2014

Dans cet environnement apparemment inhospitalier, une française d'une quarantaine d'année à l'accent chantant du sud ouest nous accueille chaleureusement "vous avez réussi à nous rejoindre finalement ! bienvenue".


Casa Alcindo

Il faut dire que depuis deux jours, les vols vers Fogo étaient annulés et les bateaux étaient pleins. Au Cap Vert, le voyage est toujours une incertitude en raison à la fois de l'harmattan, ce vent fort venu du Sahel, et aussi de la vétusté des avions et bateaux. Nous avons donc de la chance.



Chā de Caldeira offre un paysage saisissant qui laisse sans voix.



À la gentillesse des premiers contacts s'ajoute maintenant le spectacle d'un décor qu'on croirait surgit d'un film ou d'une peinture.

Dans ce village au coeur d'un cratère, volontairement coupé du monde visible, les coulées de lave noire ayant englouti les anciennes maisons cohabitent avec les nouvelles.


Les maisons traditionnelles sont petites et rondes, généralement terminées avec des pierres de lave. Il n'y a pas d'autre électricité que celle produite par les panneaux solaires, et l'eau est celle collectée par 5 jours de pluies en 2023. On apprendra plus tard que la dernière pluie date, très précisément, du "21 septembre 2023". Quand la denrée est rare, la mémoire de sa récolte se renforce.


Des brins de couleurs dans le décor noir du volcan

Laetitia et Alcindo, nos hôtes nous embarquent avec eux dans leur vie insolite au coeur de ce village pas comme les autres. Alcindo, né en 1983 à Chā de Caldeira, est un enfant du volcan. À 12 ans il assiste à sa première éruption (en 1995), et compte déjà 84 ascensions à son actif du "Gran Pico". Il est alors guide débutant. En 2014, il a 31 ans, vient d'achever sa maison d'hôte "Casa Alcindo" et est un guide reconnu quand le village - et son gîte - sont détruits.


L'ancienne Casa Alcindo

Il vient alors de rencontrer Laetitia, Française du Lot et Garonne, et après 77 jours à regarder les éruptions et à voir fondre son ancienne propriété, ils vont tout rebâtir.

Casa Alcindo aujourd'hui

Casa Alcindo est aujourd'hui un havre de paix et de bienveillance. On s'y sent immédiatement bien et nos hôtes ont ce juste dosage entre savoir offrir et savoir écouter. On est sous le charme. Avec 9 chambres, c'est une pension à taille humaine qui propose le gîte et le couvert. L'adresse est exceptionnelle au Cap Vert. Bien qu'il faille se contenter d'un maigre filet d'eau pour se doucher, le cadre est spectaculaire, l'hôtel soigné et la nourriture très bien travaillée à base de produits locaux. Alcindo, Laetitia et tout le personnel parlent un français parfait, ce qui facilite les échanges. Enfin, chose rare au Cap Vert, la cuisine va vite. On s'y sent donc comme à la maison et vraiment heureux de ce point de chute qui rend convivial et confortable un site a priori hostile à l'homme.


Vue depuis notre chambre

Nous goûtons le vin de Fogo, produit par la coopérative locale et issu d'une tradition séculaire. Il est excellent.


Un plant de vigne dans la Caldeira

Sous la voie lactée, dans une nuit noire sans lune, le pic du volcan se parre d'un nouvel habit qui nous laisse de nouveau sans voix.


Faire le tour de la Caldeira


Samedi 9 mars 2024


Au petit déjeuner nous goûtons un fromage de chèvre local accompagné de pain maison et de confitures faites à partir des figues et des coings produits dans la caldeira. Le café aussi est local.

Nous partons vers 8h30 du matin pour faire un grand tour de la caldeira en emportant avec nous un panier pique nique préparé par le gîte.



Le décor est époustouflant, on découvre rapidement les vignes et arbres fruitiers qui constellent de vert la terre noire de la caldeira. Grenades, pommes, patates douces semblent pousser aisément.


Une maigre agriculture pour se nourrir

En réalité, la fertilité de la terre n'est pas acquise. Pour qu'un arbre ou un végétal pousse, les habitants fertilisent la terre avec du fumier. La terre volcanique a la capacité de bien drainer le peu d'eau qu'on lui offre, à condition de faire un trou autour de la bouture d'arbre. Creuser des trous autour des arbres ou des plantations, en particulier dans une terre volcanique comme celle de la caldeira de Fogo, est une pratique agricole importante pour plusieurs raisons. Premièrement, cette méthode permet d'ameublir la terre, facilitant ainsi l'ancrage des racines et leur accès aux nutriments et à l'eau. La terre volcanique, riche en nutriments, est ainsi ameublie ce qui favorise l'absorption des éléments nutritifs du sol. En outre, la préparation de trous spacieux pour les plantations assure que les racines disposent de suffisamment d'espace pour se développer sans contrainte, ce qui est crucial pour la santé et la croissance des arbres. Cette pratique permet également d'améliorer le drainage et éviter la stagnation de l'eau.



Sur le chemin, des habitants construisent de nouvelles maisons, respectant la plupart du temps l'architecture traditionnelle. Le funco est construit avec des matériaux locaux, qui peuvent inclure la pierre volcanique et d'autres ressources naturelles disponibles sur place. Ces maisons sont souvent rondes ou de forme circulaire pour minimiser la résistance au vent. Le toit est généralement fait de matériaux végétaux, comme des feuilles de palmier, permettant une isolation naturelle contre la chaleur et offrant un certain rafraîchissement.


Funcos traditionnel au cœur du paysage de lave

On traverse des champs de lave spectaculaires. Ici la couleur de la lave cristallisée raconte l'histoire des éruptions passées. Les laves pauvres en silice, issues de volcan effusif comme Fogo, sont plus fluides et coulent rapidement, se refroidissant lentement au contact de l'air ou de l'eau. Ces laves basaltiques peuvent présenter des surfaces allant de très lisses à rugueuses. L'oxyde de fer présent dans la lave influence sa couleur lors du refroidissement, les variations allant du rouge au noir en fonction de l'oxydation et de la concentration de l'oxyde de fer.



À Fogo, la couleur de la lave change avec le temps, passant du noir pour la lave récente à un brunissement pour la lave plus ancienne. Au contact de l'air et avec le temps, l'oxyde de fer réagit avec l'oxygène, entraînant un changement de couleur. En prenant de la hauteur, on distingue ainsi facilement l'âge des coulées de lave.


Vers 11h on gravit le "Monte Verde" : plus de 300 mètres d'ascension quasiment verticale sous un soleil à l'indice UV de 12.


La montée très verticale du Monte Verde

C'est difficile, presque de l'escalade, mais c'est aussi ce qui fait la diversité de cette randonnée.



Au total notre tour de la caldeira va durer pas loin de 6 heures avec un pique nique sur les hauteurs. La fin de journée se passe dans le village, où nous faisons quelques amplettes, notamment des baies de poivre rose produites dans la caldeira.



Gravir le Gran Pico avec Alcindo


Dimanche 10 mars 2024

Nous nous levons un peu avant le soleil pour l'ascension de Fogo.



Alcindo est un excellent guide. Il nous explique énormément de choses sur la vie au village, sur le volcan et sur des techniques d'ascension.


La première partie de l'ascension, les 300 premiers mètres de dénivelés positifs, sont assez simples mais les 700 suivants sont beaucoup plus sportifs. Il n'y a qu'une seule voie pour monter au sommet.



On monte sur une sorte d'escaliers de pierre en devant faire attention a ne pas provoquer d'éboulis qui pourraient menacer la sécurité des randonneurs après nous.



Partis a 6h30 du village, nous arrivons un peu avant 10h au sommet. L'ascension aura été faite, tranquillement, en 3h11 exactement. Au sommet, nous croisons 3 jeunes français, 1 allemande et 2 anglophones.



Il reste en réalité à gravir en via ferrata une dernière section vertigineuse avec quasiment 1000 mètres d'à pic sous les pieds. N'étant pas très à l'aise avec le vide, je préfère faire le tour du cratère sans accéder au dernier sommet du sommet.


La descente est difficile pour moi en raison de la vision de la pente et de ce vide qui semble vouloir m'absorber vers le bas. Psychologue, Alcindo finira par m'analyser : "je t'ai bien regardé tu n'as pas le vertige, tu as peur du vide. Le vertige tu ne peux rien faire mais la peur tu peux la travailler avec des échelles, des ponts, des exercices la tête à l'envers et en travaillant la confiance en soi en mouvement". Je suis étonné mais l'analyse est vraie.


Après une centaine de mètres de dénivelé négatif la roche disparaît et fair place a une vaste étendue de cendres pyroclastiques.


Ce n'est ni de la poussière ni du sable mais un composé très légèr et un peu plus consistant : résultat le pied s'enfonce profondément dedans tout en pouvant lâcher prise facilement. Vers 2700 mètres, Alcindo nous dit : "maintenant on va courir jusqu'à 2000 mètres". Alors que la température grimpe et que le soleil est au plus fort, on dévale les pieeds presque dans le vide l'équivalent de 2 à 3 hauteurs de la tour Eiffel.



C'est a la fois drôle et impressionnant. Une impression unique et tres mémorable ! On ne fait pas tous les jours du running de l'extrême.


Une mer de nuages entoure la caldeira

Arrivés a ce qui nous semble être le bas, nous sommes en réalité au sommet du "petit pico", le dernier cratère qui s'est formé en 2014 et qui a craché de la lave pendant 77 jours. Ici, la roche est très rouge et on trouve du souffre et des pierres bleues liées à la forte concentration en oxyde de fer (pierre rouge) ou a la concentration de gaz restée dans les roches (bleus). Alcindo nous fait passer par une impressionnante crête tout en nous racontant sa vie de guide. Avant de venir se réinstaller a Chā de Caldeira il avait été guide pendant 10 ans dans tous le Cap Vert. Après avoir passé 2 ans a construire son premier gîte et avoir posé sa dernière pierre en 2014, il fut détruit. Résilient, il passa les 77 jours de l'éruption dans la caldeira dans une cabane a gauche de la coulée de lave "un spectacle permanent". Il nous explique qu'avant 1995 (l'éruption précédente) la zone était agricole avec des arbres.


Le cratère du petit Pico vu depuis le grand

Plein de très beaux souvenirs nous revenons vers le gîte pour un bon repas. Deux Français qui mangent s'inquiètent en nous voyant couverts de cendres, la peau rougie et visiblement fatigués "vous revenez d'où ?". On les rassure, car ils n'ont pas prévu de monter au sommet du "grand" pico.


Toujours des bons repas

Le repos après la montée est d'or et nous savourons nos derniers instants dans ce lieu magique. Demain nous embarquons à Sao Filipe vers la mystérieuse île de Brava ; la plus petite, la plus isolée, la plus difficile d'accès du Cap Vert en raison d'une mer réputée tumultueuse. Brava est aussi la plus américaine des 9 îles de l'archipel en raison d'un lien étonnant et séculaire avec les balainiers du Massachusetts...



Comments


bottom of page