Certains prénoms de cet article ont été modifiés par soucis d’anonymat.
Lundi 8 mai 2023 - 2h du matin
Des cris et une dispute retentissent au milieu de la nuit dans la guest House du petit village de Cambulo, au milieu des rizières. Je mets mes boules Quiès pour trouver le sommeil.
7h30 du matin
Après avoir filmé au drone au dessus du village, je descends dans la salle du petit déjeuner où Rebecca (le prénom a été modifié) 24 ans, dit au revoir à d’autres randonneurs. Hier soir elle était quasiment tombée dans un coma éthylique après une trop grande absorption de shots de gin pur, elle qui n’a pas l’habitude de boire. Quand je suis parti de la soirée, elle était à moitié évanouie sur l’épaule d’Éric, un de nos trois guides avec Franz et Ariel. Je lui demande si ça va mieux « oui ça va mieux mais il s’est passé quelque chose dans la nuit, Éric a tenté d’abuser de moi et Ariel également, j’ai eu la force de le repousser et d’être sauvée par Agathe (le prénom a été modifié) et les garçons avant que quelque chose de pire n’arrive… ». Pendant que Rebecca me parle, Diane descend l’escalier en titubant, encore sous l’effet de l’alcool et de ses chutes d’hier. Agathe, tombée elle aussi la veille, la suit puis les 4 garçons du groupe, dont un avec l’arrière de la tête en sang. Les garçons se repassent des vidéos folles de la soirée d’hier dans un esprit « Very Bad Trip ». Mais que s’est il passé ?
Le soir, après la randonnée, Léa (le prénom à été modifié), une autre Française du groupe nous confiera : « je n’en ai pas parlé hier, mais Franz a lui aussi essayé de m’embrasser deux fois avant que je me couche. Il ne s’est rien passé mais il a tenté sa chance ».
Deux jours plus tard, Rebecca nous enverra un message : « j’ai donné l’alerte sur des groupes Facebook de façon anonyme. Franz et ses collègues sont connus pour des faits similaires, deux jeunes françaises n’ont pas eu la même chance que moi et ont subi des choses plus graves. Un dossier a été monté avec l’ambassade de France ».
Comment l’équipe d’un guide de référence auprès des Français à Banaue peut elle faire cela ? Pendant la nuit, Franz aurait proposé d’appeler la police tout en faisant pression aux filles, en indiquant que si elles appelaient, il pourrait faire faillite alors qu’une bonne partie de la vie du village, des enfants qu’on a vu la veille, dépend de ces treks.
48 heures plus tôt - Samedi 6 mai 2023
Après plus de 9 heures de bus depuis Manille sur une route de montagne étroite et surpeuplée, nous arrivons enfin à Banaue où une personne de l’équipe de Franz nous attend. L'ambiance de montagne tranche avec Manille et Palawan, il fait beau et chaud ce matin et tous les randonneurs qui arrivent (une dizaine) semblent Français. J'ai passé un voyage difficile car malade, pris au niveau des bronches, mal de tête, extinction de voix, mais je fais face et me dis que je pourrai quand même partir en randonnée.
Pour notre première journée, Franz n'est pas là mais il nous a organisé un tour vers des sources d'eau chaude dans les rizières. Un groupe d'amis de 5 jeunes français environ 24 ans, se joignent à nous. Cela fait deux mois qu'ils visitent le Vietnam et les Philippines tout en suivant des cours "en distanciel" avec la Chine qui n'a pas pu les accueillir sur place. Mi cours, mi voyage, c'est un petit groupe pétillant et soudé qui nous fait soudainement changer d'ambiance.
La balade à travers les rizières est spectaculaire puisqu'on emprunte de tous petits sentiers étroits entre les parcelles.
Arrivés aux sources chaudes "Bogya Hotsprings", on découvre d'un côté de l'eau fraîche de montagne revigorante et de l'autre une eau naturellement enrichie au souffre à 35 degrés digne d'un spa. A nos côtés, il n'y a que des Philippins locaux, des "Ifugao", nom du peuple de la région. Les Ifugao (ou Igorots) sont ceux qui ont construit, il y a plus de 2000 ans, les rizières en terrasses. Fiers descendants de guerriers coupeurs de têtes, les Ifugao sont des paysans bâtisseurs qui ont sculpté les montagnes à la main. Le riz d'ici n'est d'ailleurs pas commercialisé, il sert seulement à la consommation locale, pour laquelle il n'est d'ailleurs pas suffisant.
Après le déjeuner, je repars seul dans la source chaude pendant que Diane fait une sieste. Un Ifugao en lunette de soleil en train de roucouler dans l'eau me suit du regard, tout sourire, "d'où tu viens ?". "Oh ! Paris, la ville de l'amour, c'est une belle ville". Je lui répond que c'est aussi très beau ici. Il réplique " Très beau de l'intérieur comme de l'extérieur.. ". J'ai un doute sur le sens de la phase mais il enchaîne "tu es marié ou célibataire ?". Voilà donc pour ma première rencontre avec la noble tribu millénaire des Ifugaos. J’aurai eu le droit à une lourde drague homosexuelle dans l'eau chaude des rizières.
D'ailleurs assez portés sur la chose, on trouve un certain nombre de sculptures de bois intégrant des formes phalliques...comme nos bâtons de marche..
Au loin, dans les rizières on entend de la musique traditionnelle monter d'une église isolée, il y a un mariage.
Dimanche 7 mai 2023
Vers 9h, un Jeepney (moyen de transport traditionnel des Philippines) vient chercher notre groupe composé de 11 randonneurs (nous inclus) pour 3 guides. Nous montons tous sur le toit et admirons les premiers paysages de rizières. Après une vingtaine de minutes de route, on nous donne nos bâtons de marche et partons pour une marche d'environ 6/7 heures. La première partie du chemin se déroule en forêt d'altitude et nous arrivons vers midi dans les rizières. Le groupe de randonneurs est jeune, en dehors de nous, il y a un couple belge qui doit avoir la petite trentaine, le groupe de 5 amis qui fait ses études en distanciel et deux voyageuses en solo. On est les plus âgés.
Après le déjeuner, nous nous dirigeons vers une chute d'eau à une vingtaine de minute en contre bas. Les plus téméraires, dont Diane, sautent du haut du pont pour plonger dans l'eau fraîche 5 mètres plus bas. Ayant le vertige, je m'abstiens mais propose à Diane de filmer ses exploits avec le drone. Je le place au dessus d'elle et lance le saut, la caméra monte et révèle les rizières. Le mouvement n'est pas parfait mais est pas mal. J'ai envie de renouveler le plan et invite les jeunes à les filmer, mais je vois que ça s'agite en bas. Diane ne revient pas... Je jette une tête, elle est allongée dans l'eau les yeux fermés et une femme vient à son secours.
Arrivé à son chevet où elle est déjà soignée par Ariel, on constate qu'elle a touché un rocher après être entrée dans l'eau et son genoux gauche saigne mais n'est pas cassé. On a tous eu peur. Franz nous dit que c'est la première fois que cela arrive. Un peu titubante, Diane reprenda la marche alors qu'on arrive dans les rizières. Le paysage est magnifique. Plus loin, c'est Agathe qui se foulera la cheville. Les guides prennent soin d'elle également, et on continue le chemin jusqu'à arriver au village de Cambulo au coucher du soleil.
Le village au milieu des rizières est poétique de par sa situation géographique singulière. Le soir, avant le repas, une vingtaine d'enfants du village sont réunis dans la cour de l'école pour nous chanter des chansons d'accueil en philippin, anglais, français et Ifugao. Lors des danses traditionnelles les enfants nous invitent à se joindre à eux pour un beau moment tous ensemble.
Après dîner, Fantz invite ceux qui le souhaitent à venir à la piscine municipale - karaoké ! Tous les jeunes y courent, sauf le couple belge et nous qui prenons un massage. Après notre heure de relaxation, nos deux masseuses nous conduisent au karaoké vers 20h30, où la fête bat déjà son plein et toute notre troupe est éméchée. En trente minutes, les 7 jeunes ont déjà pris 5 shots de gin chacun et, à notre arrivée, ça continue. Rebecca n'en peut plus et a beaucoup de mal à tenir. La fête part dans tous les sens. Les guides répètent en français "à poil", mais seuls les 4 garçons s'exécutent, les filles sont mal à l'aise avec les guides. Eric semble bien trop proche de Rebecca. De mon côté, je n'aime pas trop les ambiances de fête et je cherche une exfiltartion, mais Diane enchaîne les shots et boit ceux que je ne prends pas. J'essaie de la ramener à la raison. En vain. Vers 22h je repars seul à la guest house. Sur le chemin, je me dis que nos inquiétudes vis à vis de Rebecca et Éric sont sans doute vaines : si les guides étaient des agresseurs sexuels, leurs tours ne tiendraient pas deux jours à l'époque des réseaux.
Je m'endors rapidement.
Sans doute une heure plus tard, Diane, complètement éméchée revient soutenue par Franz. Il me sermonne gentiment car j'ai verouillé la porte. J'ai aussi trop bu, tout le monde a trop bu. On s'effondre au milieu de la nuit.
Lundi 8 mai 2023
À deux heures du matin ça hurle. Après deux journées de randonnée parfaites, j'ai du mal à comprendre ce qu'il s'est passé hier. Pourquoi plus d'une dizaine de bouteilles de gin philippin nous attendait au karaoke dès 20h? Le karaoké et les shots de gin entraînaient les randonneurs dans la fête mais aussi dans une perte de contrôle rapide.
Aux premières lueurs de l'aube, je fait monter le drone dans le ciel pour capter la beauté de ce village blottit au coeur de paysages de rizières. Et en effet, c'est sublime.
Au petit déjeuner l'ambiance est à la gueule de bois. Les jeunes oscillent entre remémoration collective des souvenirs d'hier, vidéos à l'appui, et, en petit comité, plus discrètement, échanges sur ce que Rebecca a vécu. La temporalité exacte des évènements de la soirée restera un peu floue pour nous. On se demande cependant comment les deux guides qui épaulent Franz et qui se sont montrés si soucieux de nous pendant la randonnée ont pu tenter, tour à tour, d'approcher sexuellement Rebecca sans son consentement alors qu'elle était dans un état de faiblesse ?
La question ne sera pas résolue ce matin. Le couple belge semble ne pas bien comprendre tout ce qu'il s'est passé. Quoiqu'il arrive il faut continuer la randonnée. Vers 9h30 on reprend la route. Il fait plus de 33 degrés, on est au soleil et on commence par une montée raide. Diane a du mal à avancer et traîne derrière, Eric lui porte son sac. On l'attend en faisant des pauses régulières. Vers midi on atteint les incroyables rizières de Batad qui offrent un véritable spectacle pour les yeux. Diane fait une sieste et je lance le drone.
Pour déjeuner nous descendons des escaliers dans les rizières jusqu'à atteindre une superbe chute d'eau.
Nous remontons ensuite jusqu'au village de
Batad en empruntant les petits chemins entre les parcelles cultivées.
Vers 15h, nous terminons la randonnée, après avoir marché 9km pour 630 mètres de dénivelé positif (hier c'était 16km pour 350 mètres de dénivelé positif). La jeepney nous raccompagne à Banaue où nous nous reposons un peu avant de faire un dernier tour de ville. Nous dînons avec Léa qui nous raconte sa vie en Australie. On y apprend que l'ouest, où elle vit, est beaucoup plus sauvage mais moins riche en animaux que l'est, et elle nous décrit son travail au service des mines de zinc. Elle revient aussi sur les évènements de la nuit et complète notre tableau de cette drôle de randonnée où nous aurons eu l'impression de vivre le meilleur et de nous surprendre du pire. Demain, nous irons plus au nord, plus en altitude, à Sagada.
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