Chypre Nord fêtera en 2024 ses 50 ans. Triste anniversaire. L’histoire de ce territoire est le résultat de plus de 400 ans d’histoire. De 1570 à 1878 les ottomans ont occupé Chypre avant de céder l’île à l’empire britannique. Bien que les habitants de l’île soient de culture grecque, les turcs se sont aussi durablement implantés un peu partout sur l’île. En 1961, Chypre entame sa décolonisation et réclame son indépendance. Les Turcs, devenus minoritaires (environ 20% des habitants) prennent peur de la volonté de rapprochement de Chypre avec la Grèce. La constitution en place dévalorise la représentation des Turcs. Les tensions montent et des violences communautaires éclatent. Les « patries-mères » grecques et turques exacerbent les tensions existantes en alimentant les craintes. En 1974, un coup d’Etat renverse le président et archevêque Makarios III de Chypre à la faveur de la junte militaire grecque. Les Turcs de l’île prennent peur et font appel à la Turquie. Celle-ci intervient militairement sur l’île, à la stupeur des Chypriotes grecs. 1974 marque ainsi le début d’une occupation militaire qui se transforme en déplacement de populations jusqu’à aboutir en 1983 à la création de la république turque de Chypre du Nord. 50 ans de division donc, avec les douleurs qui vont avec : familles expropriées, perte d’identité, disparus, violence de guerre…
Et un conflit qui n’a toujours pas été résolu malgré un référendum d’importance en 2004 sur une sortie de conflit proposée par l’ONU, finalement accepté par les Turcs et rejeté par les Grecs. Depuis, comme un tabou, une cicatrice qui a du mal à partir, une république du Nord non reconnue internationalement et faible, et une république Sud amputée. Entre les deux, une zone tampon surnommée « la ligne verte » qui a tout de même la particularité d’être franchissable facilement sans plus de formalité qu’un passeport que personne n’osera tamponner. Depuis 2003, la circulation des deux populations de part et d'autre de la frontière est facile, participant ainsi à une petite réunification de l'île.

Jour 3 : 24 Décembre 2023 - Noël à Kyrenia
Vers 7h30 du matin nous remontons à pied sur un bon kilomètre Ledra Street. Le point frontière est vide, le passage quasi instantané. De l'autre côté on prévoit d'aller à Kyrenia, la ville portuaire à une demi heure de Nicosie, mais Google Maps indique une gare de bus éloignée de plus de 2 kilomètres... Pas pratique. On tombe rapidement sur un taxi qui nous demande 5€ pour le trajet. Marché conclu. À la gare de bus on fait du change (ici on règle en livre turque), on paie 2,4€ chacun pour un bus qui part dans...5 minutes. Avant 9h on débarque à Kyrenia, on va dans le premier hôtel proche de la gare de bus, le Olivia Palm. On visite. Belle vue sur la mer, belle chambre disponible. À 9h30 on a réussi notre pari ! On est prêts à célébrer Noël. Mais célèbre t-on vraiment la naissance de Jésus en territoire musulman ?
On se dirige vers le centre ville vers 11h et on tombe sur un grand marché de Noël où sont diffusés des airs connus. Les touristes se prennent en photo avec le père noël turc dans son traîneau. On déguste une spécialité de Noël déjà repérée dans une église orthodoxe de Nicosie hier : mélange de pignon de pin, de grenade, d'amande, de miel. C'est simple et bon, on accompagne l'encas d'une limonade de clémentine maison tout en dévorant des yeux les petits étals de ce marché de Noël assez complet où se mélangent textile, décoration, bijoux et nourriture.
La mission suivante est de récupérer une carte SIM pour avoir internet (selon nos opérateurs, on a quitté la zone UE et on est en Turquie) et de trouver une voiture de location. Chez Vodaphone, une jeune vendeuse aimable comme une porte de prison nous remet pour 290 livres (environ 9€) une cartes SIM. Je pinaille car c'est écrit 220 livres sur la carte, elle fait mine de ne pas comprendre. Je met la carte, je gratte mon code SIM, ça ne marche pas. La vendeuse me montre comment faire...ça ne marche pas. Elle ouvre une carte, puis une deuxième, puis ... je laisse Diane suivre les opérations numériques et vais chercher la voiture "c'est à 10 mètres, c'est le seul loueur de voiture de la rue, tu le trouveras vite". Sauf que, Google Maps en main, je ne trouve rien. À l'endroit indiqué il y a un magasin de vêtements. J'entre, pas très sûr de moi, un client me voit en perdition et me demande ce que je cherche, « à louer une voiture ». Il m'adresse un regard circonspect et je sens qu'il se dit "il est un peu bête lui", mais il demande à la vendeuse. Elle appelle son mari qui est à l’espace Homme du magasin "Tayep ?!" et me répond avec un grand sourire "oui c'est ici !". Je me dis que Diane ne me retrouvera jamais, je repars vers Vodaphone où la vendeuse gratte frénétiquement une nouvelle carte SIM qui...ne marche pas. Toujours aussi peu aimable elle nous dit de revenir plus tard. Diane s'impatiente et moi je dis "ok, ok". J'explique à Diane qu'elle ne va pas trouver le loueur, elle me toise, je l'emmène dans le magasin de vêtements où Tayep nous attend. Elle comprend. 25€ par jour en cash avec 20% de remise sur les fringues. On prend à partir de ce soir 18h pour 3 jours, le patron est sympa, il nous laisse la voiture maintenant et Diane craque sur une veste Zara marron (qui semble être une vraie...made in Türkiye). Ça lui va parfaitement. Une touriste britannique très botoxée la complimente. On laisse la voiture au parking et on part flâner dans Kyrenia.
Un hôtel 4 étoiles en bord de mer a entièrement recouvert de neige artificielle et de sapins son coin réception, les visiteurs enchaînent les selfies. Comme Megève mais en Turquie.

Je ne vous ai pas tout dit sur Kyrenia. En fait, Kyrenia ne s'appelle plus Kyrenia mais Girne en turc. Ici toutes les villes ont une double identité et même si les noms grecs subsistent, les noms turcs prévalent. On se rend rapidement compte que la ville est la plus belle qu'on ait vu à Chypre jusqu'à présent, avec un magnifique château fort en bord de mer et un petit port superbe. Véritable capitale touristique de Chypre nord, c'est une belle surprise avec ses rues pavées et ses cafés à l'européenne.
Quand je demande à notre loueur de voiture la nationalité de ses clients il me répond avec un sourire "peu de Français", puis enchaîne "numéro 1 les britanniques d'ailleurs vous pouvez payer en livre anglaises ici, puis les allemands, les scandinaves, les libanais". Et moi qui pensait que j'allais encore croiser des Russes ! Chypre est étonnante.
Étrangement les Français, pourtant bons voyageurs, sont très en retrait à Chypre et je m'étonne dans cette zone de non droit d'avoir une telle abondance d'Européens visiblement habitués à passer leurs vacances ici. On déjeune au "Georges's Pub", très à l'anglaise, qui sert pintes de Tuborg scandinave, Fish and Chips et Burgers dans une ambiance musicale anglo saxonne. Après Megève, Londres sur mer. Après le déjeuner on repart chez Vodaphone. La vendeuse, toujours aussi peu aimable "désolée ça ne marche pas, revenez ce soir". On déchante mais on accepte. On prend notre voiture offerte pour l'après midi pour rejoindre une belle ballade de bord de mer aménagée avec des ponts qui enjambent les bras de mer.
C'est relaxant et comme partout à Chypre paisible. On y croise de nombreux passants internationaux avec des chiens. Au retour on est pris dans un bouchon vers le marché de Noël, Diane repart à pied voir notre vendeuse préférée alors que je rentre à l'hôtel. Diane sera confrontée à un nouvel imbroglio avec la vendeuse et finira par se faire rembourser de notre carte SIM.
À 5 heures de Noël, loin de nos familles, il nous reste à trouver un endroit pour le célébrer avec beauté. Dans le vieux Kyrenia nous trouvons un bar à cocktails magnifique avec un feu de bois et une étrange déco à la gloire d'Ataturk, le fondateur de la Turquie. Bel homme, Mustafa Kemal, est représenté sur au moins une trentaine de portraits en noir et blanc d'un bon mètre de haut, répartis dans tout l'établissement. On le voit dans de nombreux pays, dans des tenues chics et diversifiées, toujour seul et digne.
Drôle de culte de la personnalité. Un peu au hasard nous avons repéré un joli restaurant très décoré face à un hôtel de luxe, les prix sont raisonnables, le service magnifique, les plats succulents, c'est une réussite. Nous dégustons des tempuras de crevette, des pâtes raffinées, un cheesecake à la citrouille et un "katmer", un feuilleté de pistache praliné chaud.
Minuit sonne sur le port de Kyrenia, alors que le père Noël sillonne le ciel étoilé.
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