Vendredi 8 avril 2023
Le soleil s'apprête à terminer sa course derrière une haute montagne couronnée de fines bandes de neige. Aziz, fringant quinquagénaire berbère, parcourt du regard le panorama : au loin le Sahara illumine d'or l'horizon et se fond dans le ciel, au pied d’un long ruban agricole constellé d'oliviers et de champs se dessine la commune rurale de Tendife. Autours de nous, un village puise ses racines dans une oasis agricole faite en terrasses, parcourue de moutons, chèvres et bergers. C'est Raggou. Ici, Aziz est le représentant d'un style de vie intemporel où l'on vit de sa récolte et on construit sa maison avec la terre qui nous nourrit. Derrière nous, les montagnes de l'Atlas coiffent le village de hautes cîmes.
Entre le désert et la montagne, Aziz nous rappelle finalement la vérité d'ici comme d'ailleurs "l'eau c'est la vie". Au milieu des champs d'orge et de blés, ce jardin d'Éden abrite ainsi quelques 2000 habitants qui forment une communauté d'âmes perpétuant le mode de vie traditionnel marocain.
Si Aziz pourrait sembler "typique" il ne l'est pourtant pas. Et notre présence à Raggou en est d'ailleurs la preuve. Imaginez vous un Marocain du Moyen Atlas qui fait le choix d'accueillir des visiteurs étrangers dans une région rurale qui n'abrite pas d'hôtels à 100 bons kilomètres à la ronde, et que ce même Marocain est aussi l'unique artiste de la région, agriculteur bien sûr mais aussi peintre et sculpteur. Il n'y a pas de doute Aziz, sous le vernis de la tradition, est aussi un original.
Pendant trois jours et deux nuits le voyage à Raggou nous offre le meilleur d'un tourisme hors des sentiers battus, une originalité encore amplifiée par le contexte religieux. La date du voyage était pourtant un impensé : nous sommes à la fin de la deuxième semaine du ramadan.
Au Moyen Atlas marocain
Dans cette région du Moyen-Atlas, nous sommes à environ trois heures de route de Fès, Oujda et Nador. Autrement dit à la fois proche et loin de la ville, dans un Maroc pastoral qui recèle bien plus d'ânes et de mules que de voitures. Nécessairement ici le temps ralentit et on parle encore des distances en heures de marche. Les champs se cultivent à la faucille et les pains sont produits à partir de farine moulue dans 7 petits Moulins de village.
Dans la maison d'Aziz
Depuis Paris, la transition est nette. Hier soir nous étions encore à un concert à l'Olympia qui franchissait les 105 décibels, seuil de souffrance; aujourd'hui nous avons rarement entendu si peu de bruit. Aziz nous accueille donc dans une chambre confortable dans sa maison familiale où nous logeons en sa compagnie ainsi que celle de Mohamed, son père, Zara, sa mère, Fatna, sa soeur ainsi que Belkacem et Driss, ses frères. Il ne s'agit en réalité que d'une partie de sa famille car Aziz a aussi 7 autres sœurs qui vivent dans d'autres maisons ou dans les petites villes alentours. Au total, la petite maison construite il y a 20 ans abrite ainsi les jours de fête 12 grands enfants, des maris, des femmes et de nombreux petits enfants. La famille marocaine est grande. Ici tout le monde travaille au champs et peut aussi mener des métiers parallèles. On apprend ainsi que Mohammed, le patriarche, fut pendant 52 ans l'imam de la petite mosquée qui jouxte la maison. Un grand document bien mis en évidence dans le salon familial atteste de ses années au service de la religion.
Pendant le ramadan
Être hébergé dans la maison familiale d'un imam pendant ramadan n'est pas rien. C'est pour nous l'occasion unique d'expérimenter la vie d'un pays musulman dans sa période la plus religieuse. Malgré le fait que nous ne soyons pas musulmans, la famille d'Aziz fait son possible pour que le jeûne que tout le monde s'impose ici ne soit pas le nôtre. On nous accueille donc avec un repas et du thé en toute simplicité et le soir on nous convie à la rupture du jeûne en famille autour de 18h30. Cette hospitalité nous touche même si, au départ, nous avons beaucoup de mal à manger et boire devant la famille. Nous avions pris des petits gâteaux et de l'eau pour "tenir" mais ceux-ci se révéleront vite non nécessaires tant la famille nous prend en charge dans tous nos repas malgré cet étrange double rythme. Au cours de notre séjour, certaines coutumes du ramadan se voient ainsi éclairées d'un jour nouveau.
Le jeûne a donc lieu du lever au coucher du soleil et la rupture du jeûne se passe en deux temps :
- vers 18h30/19h c'est le petit déjeuner (ftour)
- vers 3h30 c'est le repas le plus important
De fait, le rythme local connaît un véritable décalage horaire. Les Marocains peuvent dormir jusqu'à midi, la plupart des commerces sont fermés, il ne reste quasiment plus de restaurants ni d'hôtels ouverts et la rupture du jeûne se passe souvent en famille ou sur le lieu de travail, donnant lieu à environ 2 heures très peu animées entre 18h30 et 20h30. Comme nous avons gardé un rythme français, nous ne goûtons pas le repas de la nuit. Pour l’étrange petit déjeuner de 19h, la famille varie les plats entre les deux nuits que nous passons avec eux. On a du thé et du café, des oeufs brouillés ou durs, une galette traditionnelle avec des oignons et des tomates, de la soupe (harira), du pain avec de la confiture et du jus de betterave pressée. Le repas de la nuit est sans doute plus traditionnel avec des taginzs et de la viande (on consomme du poulet). Il y a aussi des sucreries du ramadan composées de beignets au miel et des fruits (oranges et pommes).
Si le jeûne et sa rupture sont au coeur du rituel, ce n'est en réalité qu'une partie du ramadan, puisque la période est surtout accompagnée de prières spécifiques et qu'il s'agit d'une période de recentrements des fidèles qui sont amenés à réfléchir plus intensément à leur relation à dieu, ainsi qu'à leurs comportements. Le ramadan n'est toutefois pas obligatoire et les enfants, les malades ou les voyageurs en sont dispensés. Malgré tout, le code civil du pays interdit aux Marocains (mais pas aux touristes) de boire et manger en public pendant le jeûne. Pour nous, cela se traduit bien sûr par une forte hésitation devant la nourriture et l'eau puisque nous ne croisons jamais d'autres étrangers.
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