Dimanche 8 janvier 2023
Notre expérience à Ko Samui nous rappelle tristement les ravages d’un tourisme à deux versants. D’une part un pays magnifique et accessible, où la sécurité est de mise et où les déplacements sont aisés, de l’autre elle nous questionne profondément en tant qu’être humain sur la nature de ce tourisme où des occidentaux se regroupent dans des villes champignons conçues autour d’une idée dépassée de l’hédonisme. 22 heures d’avion pour un Canadien, 13 heures pour un européen, 3 à 5 pour un Chinois pour venir ici. À nos yeux le voyage fait sens lorsqu’il est une rencontre au moins avec le pays, en tout cas avec quelque chose de vrai. Un peu comme après une soirée trop arrosée, nous volons vers l’ancienne capitale du Siam, Ayutthaya, dans un état second du type « pourquoi contribuons nous à ça ? ». Cela a en tout cas le mérite de nous remettre au clair sur ce qu’il faut éviter en voyage.
Le 8 janvier nous avait été annoncé par une Chinoise croisée à Ko Lanta comme « le jour du retour des Chinois ». On arrive à Bangkok à 8h30, donc on imagine - à tort - que les pékinois n’ont pas déjà sauté dans le premier avion pour arriver chez leur voisin thaïlandais.
Deuxième capitale du Siam, après Sukhothai (XIIe - XIVe siècle), Ayutthaya fut fondée en 1350 et devint rapidement une des plus grandes et des plus cosmopolites villes du monde, ainsi qu’un centre mondial de la diplomatie et du commerce. Construite sur une ville entourée de trois fleuves la reliant à la mer, elle était placée sur un site stratégique pour se protéger des flottes étrangères mais aussi des inondations. Attaquée et rasée en 1767 par l’armée birmane, qui en chassa ses habitants, la capitale ne fut jamais reconstruite au même endroit (mais fut déplacée à Bangkok).
Sur 289 hectares, Ayutthaya présente aujourd’hui un ensemble de vestiges caractérisés par ses prangs (tours reliquaires) et ses monastères bouddhistes aux proportions gigantesques qui donnent une idée de la dimension passée de la ville et de son architecture. L’école artistique d’Ayutthaya témoigne de sa capacité à assimiler une multitude d’empreintes étrangères, la décoration intérieure a fait appel aux meilleurs artisanat et arts muraux hérités d’Angkor (Cambodge) et des emprunts à la Chine, au Japon, à l’Inde, à la Perse et même à l’Europe. Avec près de 400 temples (Wat en thaïlandais), Ayuthaya nécessite bien plus qu’une journée de visite ; nous nous concentrons sur quelques un des plus emblématiques pour tenter d’approcher un peu de son mythe.
Wat Yai Chai Mongkhon
Le temple (Wat) Yai Chai Mongkhon constitue notre premier arrêt vers 10h30. Avec étonnement nous constatons que les premiers touristes chinois à revenir hors de leurs frontière y sont déjà présents en masse et en masques. Fondé en 1356, détruit et reconstruit à la fin du XVIeme siècle, ce temple célèbre la victoire à dos d’éléphant du roi Natesuan sur son opposant birman. Une fresque monumentale à l’arrière plan du grand bouddha relate d’ailleurs ce récit important du Siam. Un long bouddha couché d’une quinzaine de mètre fait aussi parti du sanctuaire. Enfin le « Chedi » (temple principal) a la particularité d’être visitable. Temple en activité, les croyants se prêtent à d’incessant rites pendant notre visite : on brûle de l’encens, on dépose des fleurs, on habille les bouddhas de toges safranées.
Wat Mahathat
Le tuk-tuk qui nous emmène de site en site nous dépose maintenant devant le très beau Wat Mahathat inspiré de l’architecture khmère. Sans activité religieuse actuelle, les ruines laissent deviner l’un des principaux monastère bouddhiste de la capitale, là où se déroulaient d’importantes cérémonies royales. Signe de son importance, le Prang principal disposerait de reliques de Bouddha.
Une tête en grès enlacée dans les racines d’un arbre, mondialement célèbre, participe à la beauté mystique du site. Selon la légende la tête de la statue serait tombée et c’est par miracle qu’elle aurait fini par être emprisonnée dans les racines.
Wat Ratchaburana
De l’autre côté de la route nous accédons au temple Ratchaburana édifié en 1424, un des plus anciens de la ville. On y accédait originellement en bateau, ce qui devait en faire un des temples les plus majestueux de la capitale. Reprenant le style architectural khmer et inspiré par Angkor, son monastère est orienté vers le soleil levant. Comme son modèle, le temple est la représentation physique du mont métaphysique Meru, centre de l’univers de la religion hindoue.
Wat Thammikarat
Plus loin, le petit Wat Thammikarat est un temple moins monumental, aussi moins visité et néanmoins étonnant. Pour nous, Français, les centaines de coqs représentés par des statues de couleurs à taille humaine étonnent. Elles protègent une tête de bouddha hissée sur un lotus et représenteraient dans ce cadre des hommes. Je n’ai trouvé aucune explication claire de la presence de ces coqs, mais le bouddhisme fait un usage très codifié des animaux. Ainsi, il n’est pas inutile de savoir que les 5 animaux les plus représentés dans les temples (dont les coqs ne font pas parties) sont :
- les lions et tigres, symbolisant les fils de Bouddha, êtres au développement spirituel le plus élevé. Ils sont - plus souvent que les coqs donc - les gardiens des temples
- l’éléphant, symbole de paix et de puissance mentale. Il est souvent associé à Ganesh, incarnation de la compassion suprême
- le cheval est le symbole de l’énergie, représentant l’esprit qui peut voguer où bon lui semble
- le paon est un animal particulier ; ils mange les trois poisons que sont l’ignorance, la haine et le désir pour s’en purger (le paon mange habituellement des plantes toxiques) et, ainsi faisant, protéger les autres. C’est l’animal qui endure la souffrance
- le Garuda (emblème de la Thaïlande, souvent représenté sur les bâtiments), une sorte d’oiseau qui symbolise le pouvoir du soleil capable de dévorer jalousie et haine pour libérer l’esprit.
On trouve énormément d’autres représentations animales ou mythologiques comme le dragon (l’esprit de l’eau), le cerf (la paix) ou le phœnix (aussi la paix et la tranquillité mais qui n’apparaît que quand le monde va bien).
L’autre point d’orgue de la visite est un bouddha couché, qui était en restauration lors de notre passage.
Nous reprenons notre tuk tuk pour aller vers deux autres grands temples : l’actif Wihan Phra Mongkhon Bophit et le détruit Wat Phra Si Sanphet
Wihan Phra Mongkhon Bophit
Le Wihan Phra Mongkhon Bophit intègre un bouddha géant qui mesure 12 mètres de haut (hors socle) coulé en bronze entre 1488 et 1602 et restauré au début du XVIIIe siècle. Immuable dans le temps, malgré les guerres, il est l’un des plus vénéré bouddha de Thaïlande et une immense foule se presse à ses pieds pour prier. A l’extérieur du temple, les fidèles se pressent pour participer au rituel des feuilles d’or. Ce rituel qui est en fait la conclusion d’un rite commencé au temple par une triple prière au sol suivie d’une prière avec encens et bougie et enfin la fixation de petites feuilles d’or sur une statue de bouddha. L’emplacement de la feuille d’or sur la statue a un lien avec le souhait de celui qui le pose. Par exemple, avant de faire un important discours, un orateur mettra la feuille d’or sur la bouche. Pour les bouddhistes, l’or symbolise le soleil, une flamme de pureté, de savoir et d’éveil. Chaque feuille d’or est achetée au temple par le fidèle, très fine, elle mesure 0,003mm (par comparaison une feuille de papier est de 0,1mm). Cette tradition très photogénique explique pourquoi on trouve de nombreux bouddhas qui semblent atteint d’une étrange maladie de la peau dorée !
Wat Phra Si Sanphet
Le temps passant beaucoup trop vite, nous regardons de l’extérieur Wat Phra Si Sanphet qui est pourtant le plus important temple royal d’Ayutthaya, l’équivalent de l’actuel Palais Royal de Bangkok. C’était donc un temple privé appartenant à la famille royale. Aujourd’hui trois grands Chedis bien conservés sont les emblèmes du site et même des emblèmes photographiques du pays.
Alors que la journée s’achève et que notre train est déjà prévu dans 1h30, nous nous hâtons pour aller vers les deux derniers temples de notre visite.
Wat lokayasutharam
Nous passons brièvement devant le Wat lokayasutharam, le « temple de la terre » qui abrite un bouddha de 42 mètres de long parfois drappé d’un tissu orange (mais ce n’était pas le cas lors de notre passage). À seulement 350 mètres du Palais Royal, cela devait être un temple important mais son histoire n’est guère documentée et le grand bouddha est pour ainsi dire le seul vestige.
Wat whatthanaram
Enfin nous nous arrêtons au Wat watthanaram sur la rive occidentale du fleuve Chao Phraya. D’architecture khmère, il est très apprécié des touristes thaïlandais et asiatique … en raison d’une série TV de 2018 nommée Love Destiny (Buppaesannivas). L’histoire plutôt originale de la série, adaptée d’un roman, raconte l’histoire d’un étudiant en archéologie qui vit en 2018 et fait des fouilles sur le site de ce temple. Il meurt d’un accident de voiture et se réincarne alors dans le corps de la fille du roi Narai d’Ayutthaya. La série dépeint alors l’histoire de la vie à la cour au XVIIe siècle. La série a commencé sa diffusion avec 3% de part d’audience en Thaïlande pour terminer à 18%, ce qui en fit un succès TV très important. Conséquence amusante pour nous, les visiteurs asiatiques louent des costumes empruntés aux personnages pour se prendre en photos et déambuler en costumes d’époque.
Vers 15h, après la visite de 8 temples parmi les 400 de la ville, nous sommes toujours sous le charme de la ville mais il est désormais temps de rejoindre la gare. Suite à une annulation du van qui devait nous ramener initialement vers Bangkok, nous prenons un billet de train en 3eme classe, qui rappelle un peu les trajets en RER B à Paris (bondé et lent). Le voyage en train est toujours une aventure mais la fatigue nous prend un peu alors que nous voyageons debout avec nos valises, nous tenant tant bien que mal à ce que nous pouvons. Le charme d’être au milieu des Thaïlandais est tout de même plaisant. Comme partout, nos voisins sont plongés dans leurs écrans de téléphone, ils regardent des tutos , consultent souvent Facebook ou regardent des show de K-Pop qui magnétisent le regard de Diane.
Nous arrivons vers 17h à Bangkok pour la dernière halte de notre séjour. Pour finir en beauté, j’ai réservé une chambre au Baiyoke Sky Hotel, le plus haut gratte-ciel de Bangkok avec 84 étages pour 328 mètres de haut (28 mètres de plus que la Tour Eiffel). Nous logeons au 74eme étages, là où Bangkok semble à nos pieds.
Un peu en lévitation la nuit tombe, les panneaux publicitaires vidéos géants s’allument, les voitures serpentent à l’infini sur des nœuds autoroutiers à 7 étages, alors que la plate-forme panoramique du sommet de notre tour tourne sur elle-même pour nous entraîner dans la nuit infinie. Demain ce sera le dernier jour de notre voyage et nous n’aurons pas de vrai sommeil avant presque 48 heures.
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