Lundi 26 décembre 2022
Pour l’écrivain allemand Thomas Mann, le voyage, comme la vie, a plus d’intensité dans ses premiers jours que dans sa suite ; plus le temps passe, plus les habitudes s’installent, plus la sensation que le temps « passe vite » s’intensifie. La répétition a pour effet de diluer la puissance de la vie, c’est pourquoi nous retenons tant nos « premières fois », jusque dans leurs moindres détails souvent. C’est une histoire de sensation, de dépaysement, de découverte ; c’est aussi la raison, pour moi, qui rend le voyage si appréciable. Se mettre en (relatif) danger, voir ses habitudes bousculées, découvrir un monde aux règles bouleversées sont autant d’occasion de « ralentir » le temps ; objectivement, bien sûr, il ne ralentit pas mais la découverte et la curiosité qui s’en suivent donnent cette sensation, nous ancrant paradoxalement davantage dans le présent en lui donnant des marqueurs mémoriels forts. Aussi, au fur et à mesure d’un voyage les premiers jours ont aussi davantage d’intensité que la suite, quand une routine et de nouvelles habitudes s’installent ; c’est peut être la raison pour laquelle j’aime rythmer les voyages d’une variété d’expériences qui nous donnent encore et encore à découvrir.
Avec +6 heures de décalage horaire, l’arrivée un peu avant midi reste l’occasion de perturber les sens, quand bien même nous connaissons déjà cette sensation. Sous un soleil ardent et avec une température autour de 25 degrés je fais appel à un taxi sur l’application Grab (équivalent asiatique d’Uber); en 5 minutes un chauffeur nous embarque. Éminemment sociable, il nous abreuve gentiment de vocabulaires thaï pour dire « bonjour », « merci », « oui », « non », « combien ça coute » et nous fait un rapide recensement des meilleurs endroits où manger à Bangkok (bien sûr beaucoup trop nombreux). Nous logeons dans le quartier proche du Mall Central World, qui se présente lui-même comme le « Time Square de l’Asie », comprendre par la bourré d’écrans publicitaire, d’un démesuré sapin factice et d’un énorme compte à rebours pour 2023.
Une fois nos affaires posées dans le Duchess Hôtel, je fais appeler deux motos taxi au pied de notre résidence. C’est une des particularités que j’avais déjà fortement apprécié lors de mon premier séjour ici : pour moins de 3 euros et 20 minutes de trajet, une petite cylindrée nous embarque pour une virée zigzagante dans le trafic fou de la capitale. Roulant à gauche, se faufilant entre voitures, bus, piétons et sous les tunnels naturels du métro aérien, la sensation de vitesse est aussi grisante que celle d’un manège. Diane est déjà loin de moi, sur sa moto, et c’est en une poignée de minutes que toute la démesure de Bangkok semble m’engloutir. Succession de grands magasins exubérants, touffe de végétation luxuriante, serpents de bétons à plusieurs étages accueillant routes et transports, multiples stands de nourritures ou de commerces de rue allant du couturier au coiffeur en passant par le vendeur de fruits ou d’huîtres, le tout au milieu de grattes-ciel plus exubérant les uns que les autres. Si Bangkok, à la différence de Paris par exemple, manque de cohérence architecturale, elle ne manque pas de style ni de raffinement. C’est juste un étrange mélange déséquilibre entre béton vétuste, fils électriques en pagaille, succession de vie qui semble n’avoir ni queue ni tête, et en même temps une recherche perpétuelle de bon et de beau qui se traduit par des magasins sophistiqués, une nourriture abondante qui réjouit œil et nez, et mille et un petits détails merveilleux qui vont des temples dorés a la musique en passant par des publicités séduisantes. Notre première expérience nous emmène vers un spa pour une heure de détente qui nous permet de nous accoutumer un peu à la vie locale tout en nous offrant un peu de récupération bienvenue.
Nous nous dirigeons ensuite vers un « khlong », nom qu’on donne aux canaux locaux. À l’image de Venise, Mexico ou Amsterdam, l’eau traverse donc la capitale thaïlandaise et est investie d’agréable petits bateaux qui naviguent entre 20 et 30 kilomètres heure dans la cité ; offrant un échappatoire sympathique aux embouteillages. Pour 20 baths (moins d’un euro), on passe donc du quartier huppé de Thong Lo au quartier historique où nous rejoignons le temple dit de « la montagne d’or ». Alors que le soleil décline déjà vers 17h, un beau parc verdoyant accueille le murmure infini de chants bouddhistes entonnés en chœur par moines et religieux qui s’emploient à vénérer Bouddha du haut de ce temple construit au sommet d’une colline. Sur le chemin conduisant au point de vue, Diane se voit rappeler que les visiteurs doivent se vêtir de tenue couvrant les genoux et elle concilie en se couvrant tant bien que mal de son coupe vent, sous le regard un brin outré, un brin bienveillant du caissier qui finit tout de même par nous vendre notre ticket vers le ciel.
Sur le chemin rouge qui monte les louanges se mêlent aux chants d’oiseaux et aux tintement des cloches bouddhistes actionnés par les visiteurs sur leur passage. La pagode au sommet abrite la cérémonie en cours où de nombreuses offrandes sont faites aux moines mendiants à l’occasion des célébrations de fin d’année. Sous un ciel rougit par le soleil déclinant, les lumières de la ville s’allument peu à peu, révélant l’immense décor d’une ville infinie peuplée de hautes tour et saupoudrée de temples d’or et de pagodes qui étincellent. Alors que la nuit nous emporte, nos corps nous rappellent les effets du manque de sommeil. Nous dégustons des boissons locales au pied du temple dans un nouveau décor d’illumination avant d’entreprendre une marche vers Chinatown.
De nouveaux zigzags nous conduisent vers l’épicentre chinois de la ville où un décor de néons accueille pléthore de restaurants et de stands de rue. L’aileron de requin et la soupe de bave d’oiseau (!!) tiennent une bonne place sur la devanture fière de la plupart des restaurants ; n’étant pas assez Chinois, cela a chez nous un effet plus repoussoir qu’attirant. Refusant aussi l’attente longue devant les stand de rue offrant de nombreuses nourritures de la mer, nous nous réfugions finalement dans un restaurant de « hot pot » (fondue Chinoise) qui se révélera un piètre choix mais nous permettra néanmoins de goûter à un peu de calme. Nous rentrons chez nous par le BTS (le métro aérien local) et passons par le parc Lumpini, un des rares poumons verts de Bangkok où nous nous étonnons de voir tous les piétons et coureurs à contre sens de notre marche. Alors que la circulation motorisée semble chaotique, celle des coureurs semble parfaitement ordonnée par des règles qui nous échappent. Avant d’arriver à notre hôtel, je ne résiste pas à déguster une glace au matcha dans une Tea House moderne qui semble accueillir la jeunesse dorée de la capitale. Peu de temps après, le sommeil, enfin, nous emporte.
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